Une agence, un jour : Invisible Ink à Bangkok
Lancée en 2012, Invisible Ink est une agence de communication fondée par Tim Swainson et James Gibody à Bangkok. Elle incarne la nouvelle orientation prise par l’industrie publicitaire : une agence indépendante qui crée et produit à des coûts locaux exclusivement pour des clients internationaux. La fin du modèle des networks…
Les problèmes de trafic à Bangkok sont à tel point endémiques qu’il est désormais tout à fait banal de patienter deux heures pour effectuer une poignée de kilomètres durant les heures de pointe. Parallèlement aux nuées de mototaxis qui slaloment follement, les compagnies de métro occupent une place déterminante en matière de développement urbain. À ce titre, depuis quelques années, l’épicentre branché de Bangkok s’est progressivement constitué autour des rues de Sukhumvit, en particulier celles avoisinant la station de métro de Thong Lo. Les bars, restaurants et magasins aux designs sophistiqués sont des vitrines spectaculaires pour observer les transformations récentes de la ville. Le soir, c’est également dans cette zone que l’on peut trouver les meilleures adresses pour jouir d’une vue superbe depuis l’un de ces toits-terrasses devenus les emblèmes d’un mode de vie tolérant, décontracté et très Jet-Set. Sans surprise, on y retrouve de plus en plus de jeunes Occidentaux qui ont décidé de lancer leur carrière professionnelle.
La Thaïlande par hasard
Le parcours de Tim Swainson est exemplaire de cette génération de créatifs qui, profitant des nouveaux outils de communication, n’ont pas eu peur de se lancer dans des carrières de globe-trotters. Il avoue s’être retrouvé à Bangkok presque par hasard, après avoir reçu une proposition pour occuper un poste de graphiste dans une grande agence de publicité. C’était juste à la fin de ses études en communication et il n’envisageait pas d’y rester plus de six mois avant de retourner en Grande-Bretagne : « Comme je n’avais encore jamais séjourné en Asie, il s’agissait surtout pour moi de faire une première expérience professionnelle. Toutefois, parallèlement à la richesse de la culture et aux gens que j’ai pu rencontrer, j’ai été impressionné par les opportunités qui m’étaient offertes sur le plan professionnel ». Bien qu’il fût encore junior et le seul employé non thaïlandais de l’agence, on lui a immédiatement fait confiance et il a pu assumer un éventail de responsabilités impensable s’il était resté dans son pays.
Cette immersion culturelle lui a permis de se familiariser rapidement avec les codes singuliers qui guident la communication thaïe, en particulier la place centrale qu’occupent les émotions dans les productions audiovisuelles. Qu’il s’agisse de rire ou de tristesse, « les sentiments sont toujours amplifiés », au point de frôler quelquefois la caricature. La nécessité de comprendre en profondeur ces différences culturelles et le besoin de prendre du recul par rapport à son approche créative et commerciale ont constitué des enseignements indispensables pour acquérir la confiance nécessaire pour fonder sa propre agence en 2012, avec deux associés.
En termes d’entrepreneuriat, l’une des particularités de la Thaïlande tient dans le fait que les ressortissants étrangers ne peuvent pas créer une entreprise sans être associés avec un autochtone : « J’ai eu la chance de connaître mon associé, qui dispose d’une double nationalité thaïe et anglaise, dans l’agence où je travaillais ». C’est ainsi que leur collaboration a commencé au sein d’Invisible Ink. Leur agence est située dans le RCA, un vaste bâtiment industriel réaffecté qui abrite des agences et des startups aux noms et aux profils très cosmopolites. Les murs affichent une collection d’œuvres de Street Art réalisées par des artistes locaux, avec lesquels ils ont fréquemment collaboré. En fin de journée, l’activité qui rythme les étages à l’intérieur du bâtiment ne tarde pas à se poursuivre dans les bars qui se trouvent à l’extérieur. Au-delà de la qualité de vie, la Thaïlande possède un atout majeur pour une jeune entreprise qui vise l’international : des charges salariales peu élevées et une main-d’œuvre hautement qualifiée qui, la plupart du temps, a suivi des formations spécialisées en Occident.
Ces clients internationaux via Skype
Branding, développement de sites, photographie et productions audiovisuelles, leurs activités couvrent un spectre relativement large pour une jeune agence, et leurs clients, de l’ONU aux rendez-vous de musiques électroniques, sont particulièrement variés. Leur portefeuille de clients se caractérise également par sa diversité géographique. Australie, Grande-Bretagne, États-Unis, etc., leurs principaux clients ne sont pas basés en Thaïlande. Tim admet n’avoir jamais rencontré physiquement certains de ses clients ; leurs intermédiaires les plus fidèles se nomment Skype et Dropbox. Un autre avantage de Bangkok se situe dans la proximité qui lie les différents acteurs des industries créatives. Un réseau informel s’est créé entre expatriés et locaux, autant d’opportunités quand il s’agit d’ouvrir de nouvelles collaborations. Comme le souligne Tim, « cette proximité et ces passions partagées ont surtout l’avantage de nous permettre de grandir en même temps. »
Un client suisse : Preduce
Parmi ces relations qui dépassent le cadre strictement professionnel, Tim évoque la passion pour le skateboard qu’il partage depuis quelques années avec Simon Pellaux. Un jeune Suisse qui, en fondant Preduce en 2002, s’est imposé comme une référence incontournable dans l’évolution du skateboard en Thaïlande. Outre la production et la vente d’équipements et de vêtements, la marque s’est également imposée comme un emblème de la Street Culture dans toute l’Asie du Sud-Est. Une attitude qui se retrouve, avec une bonne dose d’ironie, dans la série de plateaux qui jouent sur les clichés habituellement utilisés pour qualifier les gangsters thaïs. Toujours dans le domaine des cultures urbaines, Invisible Ink a également créé l’identité des événements musicaux de Kolour : « Un team international avec qui nous apprécions beaucoup de travailler, car ce sont tous des créatifs qui montent ces événements en parallèle de leurs occupations professionnelles, avant tout par amour de la musique ».
Toutefois, c’est surtout à travers leur spécialisation dans la production de vidéos, en particulier pour l’hôtellerie de luxe, que l’agence a su se profiler auprès de clients internationaux importants. Dans la plupart des cas, ceux-ci sont attirés par la possibilité de profiter de méthodes de production très professionnelles, à des coûts défiant toute concurrence : « Nous nous chargeons de produire les story-boards et nous organisons les équipes de tournage aussi bien dans des villes que dans des lieux paradisiaques. Ce n’est pas toujours facile pour nos équipes, mais il y a toujours la gratification de pouvoir visiter des lieux uniques ». Les codes en usage pour ce type de présentations suivent des normes très strictes et doivent respecter aussi les standards de la marque. Mais ces mandats sont également des occasions de se familiariser avec les techniques de production et de post-production les plus développés. En particulier l’usage de drones pour certaines séquences qui, il y a encore quelques années, exigeaient l’usage d’hélicoptères.